Jean-Nancy est un penseur du monde comme création de singularités et d'un commun toujours au hic et nunc de sa création. En ce sens, Nancy n'est pas mélancolique - il n'est pas tourné vers le passé ; il est ouvert et ouvrant. Mais il est aussi un penseur grave, parfois sombre. Pour lui, la mondialisation confine à l'"immonde" : "Tout se passe si le monde se travaillait et se traversait d'une pulsion de mort qui n'aurait bientôt rien d'autre à détruire que le monde lui-même". De même, il ne conçoit pas la pandémie comme un phénomène isolé : "Le coronavirus en tant que pandémie est bien à tous égards un produit de la mondialisation". En ce sens, la pandémie aurait trait à la façon dont le monde se produit en se détruisant. Si tel est le cas, le problème politique qu'elle pose ne relève pas de ce que Giorgio Agamben appelle "l'état d'exception", mais, de façon plus ample, plus grave, voir catastrophique, de la fin du monde qui constitue le monde.
Reconnaître que le monde se produit en se détruisant ne contredit pas l'injonction à être ouvert à son hic et nunc. Mais cette tension nous laisse devant une question : "Que faire?". Si le mal est inhérent à ce qui constitue la possibilité d'un monde, comment s'en défaire ou y répondre? Si l'immonde est une maladie, comment la soigner? "Nous devons nous demander à nouveaux frais ce que le monde de nous, tout autant que ce que nous voulons de lui, partout, dans tous les sens, urbi et orbi, dans tout le monde et pour tout le monde, sans capital(e) du monde mais avec la richesse du monde."