Ironie de l’histoire, c’est un jour de grève générale des chemins de fer, marqué de centaines de kilomètres d’embouteillage sur les principaux axes routiers du pays, et premier jour de froid annonciateur d’un hiver rigoureux, que se boucle le dossier de La Revue nouvelle consacré aux grandes grèves de l’hiver 60. Parmi les spectres qui hantent ce petit pays malmené, au présent plus que jamais imparfait, au passé englué, au futur de jour en jour plus incertain, le spectre de la « grève du siècle » est peut-être celui qui laisse le plus interdit - de paroles, de mémoire, de récit, d’images. Une sorte d’évènement hors norme, de sursaut insurrectionnel qui, cinquante ans plus tard, en dépit de nombreuses tentatives d’analyse et d’explication sociologique, économique et politique, conserve une part d’indéchiffrable. Voilé d’une violente étrangeté, encerclé de non-dit, ce fantôme ressemble à l’Angelus Novus du tableau de Paul Klee tel que décrit par Walter Benjamin : « Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. Tel est l’aspect que doit avoir nécessairement l’ange de l’histoire. Il a le visage tourné vers le passé. Où se présente à nous une chaine d’évènements, il ne voit qu’une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d’amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds [1]. »
Remémorer ces cinq longues semaines de grève générale qui plongèrent le pays dans l’obscurité et la paralysie économique et l’incendièrent de manifestations, parfois violentes, et d’affrontements entre syndicalistes, entre grévistes et non-grévistes, entre manifestants et forces de l’ordre qui firent mort d’hommes, au moment où la Belgique est secouée par une crise de régime d’une intensité telle qu’elle pourrait imploser, n’a évidemment rien d’anodin. La grande grève, « cet évènement entredeux » ainsi que la désigne l’historienne Marie-Thérèse Coenen dans l’article qui ouvre ce dossier, a marqué les esprits et suscité de nombreux commentaires. La Revue nouvelle n’est pas en reste puisqu’elle publiait en (...)
Sommaire du dossier :
# Introduction# Un évènement entredeux / Marie-Thérèse Coenen
La grève de l’hiver 60 est un moment clé dans notre histoire politique, économique, sociale et culturelle. Elle marque la fin d’un certain monde « industrialisé » et une société où le tertiaire devient dominant mais connait, parallèlement, une certaine prolétarisation. Elle est un passage entre une Belgique unitaire et l’émergence du fait régional. Le vote de la Loi unique, le 13 janvier 1961, marque la fin du conflit. Le leadeur syndical, André Renard, à défaut de réformes de structure qu’il appelle de ses vœux depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, opte pour un programme de réformes politiques qui donnerait à la Wallonie, les moyens d’atteindre ses objectifs. L’impact sera durable. La revendication régionale marquera le mouvement syndical et le monde politique, et aboutira à l’évolution institutionnelle du pays. Elle marque aussi un changement dans les relations entre organisations ouvrières et annonce, à terme, les futurs fronts communs syndicaux, le rassemblement des progressistes et autres initiatives pluralistes de la société civile. Cela prendra du temps.
# Amnésie / Jean Louvet
La culture française émancipe, mais en même temps elle occulte la culture et l’histoire de la Wallonie qui en deviennent largement invisibles. Quant à la culture populaire, le postmodernisme l’a laminée. Certes, la crise du temps, le refus du collectif, l’exaltation du corps frappent toutes les sociétés, mais leurs ravages se font plus fortement sentir en Communauté française.
# Une métaphore pour un propos / Vincent Radermecker
Les métaphores du Train du bon Dieu, de Jean Louvet font signe vers un point central : dans ce déraillement de l’Histoire que constitue la grève s’affiche une autre réalité, celle du spirituel et du rêve, qui montre qu’autre chose que la vie quotidienne et le travail sont possibles.
# Le train du bon Dieu (extraits) / Jean Louvet
Écrit en 1962 à la demande de Léon Hardat, manœuvre au laminoir de Longtain, Le train du bon Dieu entend poursuivre par d’autres moyens la mobilisation de la grève générale de l’hiver 1960-1961 à laquelle Jean Louvet avait activement participé. Publiée en 1976, elle est reprise dans le premier tome de l’œuvre complète de Louvet éditée par les Archives & Musée de la littérature. Les notations en italiques correspondent aux réflexions dramaturgiques de Jean-Marie Piemme. Nous reprenons ici les deux derniers tableaux de la pièce.
# Hiver 60, de Thierry Michel / Béatrice Chapaux
Réalisé dans des conditions matérielles très difficiles, Hiver 60, le film de Thierry Michel, mêlant images d’archives et fiction, retrace le contexte de la grève : crise charbonnière, décolonisation du Congo, rupture du consensus social dans l’opposition à la Loi unique. Au-delà de l’euphorie de la perspective d’un changement, le film acte la fin d’une culture ouvrière et syndicale et la prise de conscience que ce qui avait bâti une région était en train de sombrer. Les enseignants comme les parents semblent avoir refusé de transmettre aux générations suivantes ces moments qui ont ébranlé leurs repères. Le déni est une œuvre collective et subtile, le film permet d’en retrouver la mesure. Il montre qu’un tel oubli nécessite la participation de tous, tout comme le changement social.
# Les chiens de la Senne Article / Charles Paron
« Les autres, les Dety et Vannot, étaient comme des roquets, de ces bâtards qu’on appelle les “chiens de la Senne”, parce qu’on allait s’en débarrasser, avec une pierre au cou, dans cette rivière qu’on avait dû se résigner à enterrer. » Ils sont une poignée de ces chiens, réfugiés, après une manifestation où la police a chargé, dans l’unique pièce de la bibliothèque de la Ligue ouvrière. Les quelque deux heures qu’ils passent à attendre l’assaut des gendarmes sont longues et ils tentent de conjurer l’ennui et la peur en bavardant. Très vite se révèlent des antagonismes entre « camarades », entre les employés et les ouvriers, entre les socialistes et le communiste ; une vieille brouille née d’une broutille refait même surface. Les huit occupants, sommés de se rendre par les gendarmes, sont arrêtés et emmenés. Les jeeps de la gendarmerie sont rapidement débordées par la foule qui les libère.
# Je me souviens... / Michel Molitor
Né à Bruxelles de parents wallons, la Wallonie a longtemps été pour moi une réalité géographique et culturelle et non politique. Mon père m’avait initié très tôt aux beautés sévères de l’Ardenne et à la richesse de l’art mosan, et j’ai passé les étés de ma petite enfance dans les douces campagnes qui environnaient Tournai, ville natale de ma mère où vivaient mes grands-parents. Mes cousins de Verviers et de Tournai n’étaient pas des Wallons, mais des Belges comme tout le monde. Leur manière de parler un peu chantante était une réalité pittoresque sans plus. Je ne me sentais pas particulièrement « Bruxellois », mais plutôt quelqu’un qui habitait à Bruxelles sans que cette qualité entraine pour moi une identité particulière
# La mémoire se chauffe au charbon / Jacques Vandenschrick
Voilà ce qui arrive quand on s’obstine à enjoliver ses souvenirs. Mais est-ce vraiment cela dont il est question ? Et d’abord, de quoi au juste étaient faits ces souvenirs qu’on dirait magnifiés ?
# À l’hiver 60, je n’ai rien compris / Jean-Marie Klinkenberg
Le jeune Fabrice del Dongo, à la bataille de Waterloo, n’avait rien compris du tout à ce qui se passait. Les seules choses qu’il avait perçues, c’étaient les bruits des décharges, la fumée blanche des batteries, les cris et les jurons, les giclements du sang et de la boue.
À la bataille de l’hiver 60, à mon tour je n’ai rien compris du tout.
# Filiations / Jacques Dubois
De la « grève du siècle », je fus plus témoin qu’acteur. Je vivais alors d’un mandat du Fonds national de la recherche scientifique qui me faisait travailler à la maison dans un grand isolement. N’empêche, ces semaines dramatiques me bouleversèrent et m’éclairèrent beaucoup sur la réalité du monde social et sur la place que j’y occupais. Je ne puis cependant les penser aujourd’hui qu’en les inscrivant dans la succession de mes rencontres intermittentes avec la politique. Ces rencontres eurent ceci de curieux qu’elles se produisirent de dix ans en dix ans, en début de décennie, me laissant tranquille dans les intervalles. Pour évoquer ce parcours, avec au centre la grève de 60-61, je me mettrai en scène plus qu’il ne faudrait. Mais, après tout, La Revue nouvelle m’y pousse.
Courriers, interventions parlementaires, travaux en commissions et documents relatifs à sa fonction de questeur, le tout pendant la durée de son mandat.
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