La question du vide est de celles qui occupent l’imaginaire humain depuis toujours. D’Aristote, qui affirmait que « la nature a horreur du vide », jusqu’à l’énergie du vide quantique de la physique moderne et des philosophies nous appelant à faire le vide en nous pour atteindre la paix intérieure à la course contemporaine aux gains de productivité par la maximisation de l’utilité de chaque instant, le vide n’a cessé de nous interroger, de nous tenter, de nous effrayer.
Notre modernité elle-même doit énormément à la promesse du vide, comme celle de libérer l’homme de l’accaparement de son temps par les activités productives, afin de lui permettre de vouer son existence aux loisirs, à la culture, à l’instruction. Mais le vide est également une menace contemporaine, celle de la Société du spectacle décrite par Guy Debord en 1967 dont les membres sont aliénés par la surconsommation et aux prises avec une sensation de vide provoquée par l’abondance matérielle. En 1983, dans « L’ère du vide », Gilles Lipovetsky surenchérira, décrivant la vacuité d’une « société de séduction » marquée par l’« indifférence pure », l’« apathie new-look » et la « culture psy ». Lui qui s’émouvait de la disponibilité de quatre-vingts chaines de télévision aux États-Unis, qu’aurait-il pensé de l’Internet ?
Serait-ce donc le mot de la fin : le rendez-vous manqué de la libération par le progrès, au profit d’une société repue de consommation et aux prises avec un vertigineux vide existentiel ?
Le présent dossier cherche à sortir de cette alternative qui, au fond, ne fait qu’opposer en apparence deux visions également négatives du vide, lequel serait tour à tour le repoussoir d’une société frénétiquement consumériste et la malédiction de ceux qui sont tombés dans la boulimie de possessions au détriment de leur être profond. Dans les pages qui suivent, si nous chercherons à éclairer notre rapport au vide, ce sera pour en signaler la relativité et la fécondité. Relativité en ce que le vide est toujours empli de mille choses et qu’il n’est vide, au fond, que par notre incapacité à ou notre refus de voir ce fourmillement, fécondité en ce qu’il est un réservoir de possibilités. Plus qu’absence de tout, le vide est ouverture, terrain de jeu, appel à la liberté. Sous cet angle, l’opposition ontologique entre vide et plein perd de son évidence, laissant ainsi la place à sa réappropriation.