Qui n’a pas entendu parler de transparence au cours de la semaine écoulée revient d’un lointain voyage dans le temps ou d’une autre planète. Utilisé à tout bout de champ, pour tout dire, pour tout mettre en valeur, le terme hante la presse, les discours politiques, les slogans commerciaux, les promesses d’un monde meilleur, et j’en passe. Même lorsque nul ne l’invoque, elle sous-tend un large désir d’horizons dégagés, où le regard porterait au loin, sans obstacle, nous dévoilant notre monde dans la plus parfaite des nudités.
Il n’est bien entendu pas envisageable de prendre cette transparence au mot... d’où ce dossier, né d’un désir d’aller voir derrière la transparence. Aussi quelques auteurs se risquent-ils ici à explorer le terrain, machette à la main. Ne faut-il en effet pas, en ce domaine privé d’imagerie médicale de pointe, encore trancher dans le vif pour savoir ce que la transparence a dans le ventre ? (...)
Sommaire du dossier :
Faire la lumière sur la transparence / Christophe Mincke Où le lecteur s’aperçoit que la transparence peut être une illusion d’optique / Christophe Mincke
Notre époque n’a que la transparence à la bouche : il faut voir dans les comptes, sous les vêtements, dans les corps, dans les méninges..., rien ne peut plus légitimement arrêter les regards, quelle est donc cette société qui voit comme suspects le secret, l’intimité, la réserve, la confidentialité et la pudeur ? Celle, sans doute, d’un réseau qui se voudrait parfaitement décloisonné et fondé sur l’échange total et parfaitement limpide d’informations. Celle d’un réseau dans lequel les violences se cacheraient derrière la transparence.
Pour une théorie de la transparence / Laurent De Sutter
La transparence est devenue une des plus importantes clés de lecture du monde contemporain. Mais de quelle clé s’agit-il ? La généralité des problèmes qu’elle prétend couvrir, ainsi que la généralité des solutions qu’elle prétend soutenir, ne signale-t-elle pas, au contraire, qu’il s’agit de rendre illisible ce qui, autrement, aurait pu être compris ? Pour répondre à cette question, toutefois, il convient deprendre du recul et de considérer ce que la transparence fait, c’est-à-dire quel monde elle prépare. Et lui opposer un autre monde, structuré suivant d’autres règles, en tentant de substituer à sa trop grande généralité une singularité à hauteur des problèmes qui le hantent.
L’illusion de la transparence des corps. Voir, concevoir et dire le VIH / Charlotte Pezeril
La transparence des corps peut s’envisager à travers l’émergence d’un paradigme médical et scientifique, où l’enjeu est d’accéder à la réalité de l’autre et du monde, puis à sa transformation morale et politique, où l’accent est mis sur la recherche de la vérité. Le virus du sida/VIH, même s’il s’inscrit dans une histoire courte (la fin des années septante), est symptomatique des évolutions du paradigme de la transparence et permet d’interroger sa portée et son ambigüité.
Apparences / Marcel Sel
Le mot transparence fait partie d’une famille de termes privilégiés auxquels l’on associe une certaine noblesse morale, comme démocratie ou liberté. Cela permet à certains de s’en emparer et de les détourner de leur sens. Quelques exemples récents révèlent que la transparence, illusion parmi d’autres, cache souvent une opacité innocente ou mal intentionnée. L’habitude d’utiliser des termes à mauvais escient peut mener à les pervertir. Or, la perversion des mots est l’une des armes de l’obscurantisme. Alors, surveillons notre langage. Cela dit en toute transparence !
Le panoptique participatif ou la transparence imposée / Nicolas Baygert
La problématique de la transparence au sein du web 2.0 dépasse aujourd’hui de loin les aspects purement techniques - tels que les paramètres de confidentialités propres à ces plateformes - pour toucher à des interrogations d’ordre politique. Quel est l’impact de cet « impératif de transparence » sur les acteurs politiques et sur les modalités de participation des individus engagés dans les réseaux socionumériques ?
Publicité et transparence dans le débat public / Arnaud Cambier
À côté de la publicité démocratique prévue et encadrée par la Constitution existe en politique un phénomène « transparentiste » positivement connoté bien que mensonger car relevant de la mise en scène. La transparence qu’il induit est en effet bien souvent une perversion antiélitiste, populiste et complotiste du débat démocratique.
La transparence du débat public en questions / Caroline Van Wynsberghe
Une tentative de définition à partir de la physique mettra en évidence le caractère le plus souvent artificiel de la transparence en politique. Des procédures (légales) ont été prévues pour que les décisions politiques qui échapperaient au principe de publicité des débats, comme c’est le cas au Parlement, soient cependant rendues publiques à différents moments. Une série de règles ont également été mises en place afin de rendre le mandataire public redevable de comptes vis-à-vis des citoyens et de l’État, sous prétexte de bonne gouvernance. Ce principe serait également à même de justifier l’exposition de l’usage que le citoyen peut avoir des deniers publics s’il est bénéficiaire d’allocations. Enfin, la transparence sera également évoquée à propos du mandat qui lie l’électeur et son député dans le cadre de la démocratie représentative.